Si vous voulez prévoir un petit voyage romantique à Venise, essayez de prendre un aller qui vous fait arriver suffisamment tôt pour découvrir la ville à la lumière du jour.
Dans mon cas, il était près de 21h30 quand j’ai accosté à Fondamente Nove, au nord de l’île, sans trop savoir comment j’allais trouver mon chemin sans 3G, et avec une bonne grosse fièvre.
Je suis du genre débrouillard et plutôt bon pour m’orienter. Sur le plan, il fallait que je me dirige au sud-sud-est pour aller vers la Piazza San Marco. Alors, sans attendre et ne rêvant que de m’écrouler sur mon lit, je pris la première ruelle qui s’offrit à moi en direction du sud.
Les rues du Cannareggio étaient désertes. Pas une âme, pas un bruit sinon à un moment les cloches d’une église qui sonnaient la demie. Je cherchai à l’entrée des rues des panneaux comme à Paris pour indiquer leurs noms, mais rien. C’est alors que je remarquai des inscriptions ici et là, parfois à même les murs. Visiblement, il fallait se repérer à l’aide de quelques points de repères limités. Au final, c’était bien pratique sachant que sur mon plan des arrêts des vaporetti ne figurait pas grand chose.
J’étais donc seul, mais j’imaginais au fur et à mesure la même scène si Franck avait été avec moi.
« Regarde ici ! Regarde là ! Tu as vu comme c’est beau même dans le noir ! »
Je vivais deux vies à la fois. Celle où j’étais seul, et malade comme un chien, et l’autre, celle rêvée où nous partagions cette arrivée et cette ville qui s’offrait dans la nuit, juste pour nous deux.

C’est peu de temps après avoir passé la place avec la statue de Carlo Goldoni que je me rendis compte qu’un truc était bizarre. Je commençais à voir des gens avec des sortes de grosses bottes en plastique multicolores. Et à quelques embouchures plus loin, je compris la raison. Plusieurs rues étaient complètement submergées d’eau. D’après mes souvenirs d’école primaire, il n’y avait pas de marées en méditerrannée. Ou tout du moins, elles étaient tellement faibles qu’elles en étaient à peine perceptibles. Alors que se passait-il ? Est-ce que j’avais choisi pile la date où Venise allait nous faire une resucée de l’Atlantide ? Visiblement, vu le nombre de Pakistanais qui vendaient des sur-bottes en plastique pour 20€, ce ne devait pas être le Jugement Dernier. Mais j’avais la flemme de dépenser une telle somme pour une telle horreur, alors j’ignorai les vendeurs et tentai de me frayer un chemin à travers les rues et ruelles non inondées. Un coup à droite, un coup à gauche, rebroussons chemin, ici les escaliers mènent sous l’eau…
Enfin je me retrouvai place San Marco. Des passerelles posées çà et là permettaient de traverser ce qui était une piscine géante pour enfants. D’après les chaises des cafés, il devait bien y avoir 20 à 30 cm d’eau sur la place. Toujours fiévreux, j’avançai sur les planches posées sur des tréteaux, au milieu de badauds riant et râlants, ne sachant moi-même pas si je devais être émerveillé, ébahi, ou gêné par cette tournure.
C’était bien joli, tout de même, mais tellement peu pratique…
Je pense que nous en aurions ri, si tu avais été là, à me tenir la main. Tu m’aurais regardé de tes yeux rieurs et remplis d’étoiles, et je t’aurais embrassé sur les cheveux, en te serrant contre moi. J’avais envie de sauter dans l’eau et de faire la course avec toi en éclaboussant de l’eau partout, et tu m’aurais traité d’enfant, en me disant que nous allions tremper nos chaussettes et que nous allions tomber malade…
En parlant de malade, je repris deux ibuprofènes parce que ça n’allait vraiment pas pour moi. Il était temps que je quitte mes rêveries et que je trouve mon hôtel. C’était juste une ruelle à côté de la place, d’après mes souvenirs, mais comment chercher rapidement quand tout était inondé ?
N’aimant pas demander d’aide (je suis un bonhomme, t’as vu, tu peux m’appeler macho man), j’entrepris d’abord de faire plusieurs rues attenantes à la place, sans succès. Puis, lessivé et las, j’entrai dans un hôtel, demandant au réceptionniste de nuit un plan ou un conseil pour me rendre à mon Albergo San Marco.
– non parlo inglese, me répondit-il.
J’essayai de baragouiner en italien, lentement.
– scusa, sai dove è l’albergo San Marco?
A ma grande peine, il me répondit d’un trait quelque chose du genre « c’est facile, vous continuez tout droit sur xxx mètres, puis vous tournez à droite, jusqu’au restaurant xxxxx et vous prenez tout de suite à gauche, puis à gauche, il y a un pont, vous tournez là, et vous y êtes !
Il se rassit aussitôt, comme pour me signifier que son aide s’arrêterait là.
Je lâchai un « grazie » un peu sombre, me sentant à présent perdu en plus d’être malade et fourbu.
Je n’eus pas beaucoup plus d’aide d’autres réceptionnistes. Visiblement, personne ne voulait me donner de carte, et se repérer dans le noir, dans des ruelles médiévales innondées n’était pas très facile. Je tournai et tournai encore, finalement tellement énervé que je décidai de me foutre de l’eau et commençai à prendre les rues submergées. Les Pakistanais me regardaient de façon étrange. « Only 20€, only 20€ ». Et à force de tourner en rond avec les pieds mouillés, je finis par céder. Je mis mes protège-chausses bleu flashy, et repris une marche éreintée et tuante, pour qu’au bout de 3 minutes, mon pied droit fût à nouveau trempé. On ne m’avait pas donné la bonne taille.
Pourquoi étais-je venu alors que j’étais malade ?
Finalement, je n’en pus plus. Il me fallait internet, je savais que je pourrais me repérer en quelques secondes. Mais où trouver du wifi ?
Je tentai ma chance, en me collant à la façade des restaurants. Il y en aurait bien un avec un réseau non protégé ou avec comme mot de passe « venezia » ou le nom du restaurant.
Au bout de 5 minutes, j’avais trouvé une connexion. J’avais envie de me gifler de ne pas y avoir pensé plus tôt. L’Albergo San Marco était à 50 mètres. J’avais tourné autour pendant près d’une heure, sans jamais prendre la bonne rue.
Je décidai d’aller au plus rapide. Je me rendis place San Marco, sautait dans l’eau, et marchai jusqu’à l’entrée de la rue de mon hôtel. Une fois à l’entrée, je retirai les sur-bottes, dont la trouée, retirai mes chaussure et mes chaussettes, puis me présentai au réceptionniste interloqué par mon entrée.
– Buona Sera, Sono E. Scrivaillon, e ho una prenotazzione per 3 notti.
Il me fit signer ma feuille d’arrivée, et me donna ma clé. J’arrivai au deuxième étage et ma chambre avait une belle vue sur la nuit noire. Je n’avais pas mangé de la journée, et je n’avais plus faim tellement j’avais envie de m’écraser. Je me refis un petit cocktail cortico-antibio pour la route, je mis mon jean et mes baskets dans la baignoire, et nu, je me glissai dans mon lit et m’endormit en quelques secondes…
Nous aurions été si bien tous les deux, dans cette chambre…