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4. Franck

Escrivaillon 0

Assis devant ma glace, je m’étais mis à jouer avec ma cuiller à la question de Fabrizio. Je me doutais bien qu’il me poserait la question, et j’avais tenté de noyer le poisson, en lui posant des questions le plus rapidement possible pour qu’il évitât de m’en poser. 

Comme d’habitude, quand je réfléchis, je fixai un point fictif dans l’air, tentant de rassembler plusieurs mois en une explication claire et succinte. Ce n’est pas facile.
– Je crois qu’il n’était pas prêt. Il avait peur de se lancer dans une vraie relation sérieuse. Il avait trop souffert par le passé, je pense.
Au final, le plus terrible dans une rupture, c’est que si, on peut complètement résumer plusieurs mois en 3 phrases. Et c’est effrayant de se dire que nous ne sommes tous et toutes que quelques mots. Rien de plus. C’est tellement choquant, et ma rupture était si fraîche que je ne pouvais pas réduire Franck à cela. Alors je me lançai dans la version longue…

– Je l’avais rencontré en soirée, nous étions ivres, nous étions joyeux, nous nous étions regardé, et nous nous étions embrassés. Nous n’avions pas pu décoller l’un de l’autre et avions  une soif de rires et de vie. Nous tentions de danser l’un contre l’autre sur des musiques qui se pogotent, nos avions été au photomaton où le premier flash nous avait tant surpris par sa rapidité que sur la deuxième photo nous étions ahuris, et sur la troisième nous riions de bon coeur. Je l’avais suivi chez lui, et nous étions endormis sur son petit matelas une personne, à même le sol. Il venait d’emménager et n’avait pas eu le temps ni pour priorité de se meubler. Nous nous sentions tellement bien daans cette petite bulle, que j’avais décidé de ne pas prendre mon bus pour aller à Amsterdam ce matin là. Je pouvais en prendre un suivant…
Et puis j’ai fini par quitter son corps, et alors que je traversais la rue pour prendre le métro, je me demandai « Je me retourne ? Je regarde ? ». Tel Orphée, je tournai la tête, et je le vis timide à sa fenêtre, pris d’un sourire radieux qui signifiait « j’espérais tellement que tu te retournes. Ce n’était pas rien… »
Je ne pouvais pas l’en blâmer. Je souriais aussi…
Bien sûr, malgré l’ivresse et les prélèvements mutuels de salive, nous avions pas mal discuté pendant cette dizaine d’heures. Il allait ouvrir un point de restauration/bar à vin la semaine suivante, et il n’aimait pas trop les apps, les réseaux sociaux et la technologie.

Quand je suis rentré à Amsterdam, nous avons un peu échangé, mais pas tant que cela. Malgré tout, l’envie de se revoir était présente chez l’un comme l’autre, et j’avais toujours envie de retrouver mes amis Parisiens. Alors, je n’hésitai pas. Je pris un aller-retour deux semaines plus tard. et puis deux semaines ensuite, et au final, je rentrais à Paris toutes les fins de semaine.
Evidemment, il travaillait les vednredi et samedi soirs, et je ne voulais pas rester accoudé à son bar, à attendre qu’il ferme. Alors le vendredi après le travail, je sautais dans un thalys, partais boire un apéro, puis en soirée avec des potes, et je retrouvais Franck tôt le samedi matin, pour dormir avec lui quelques heures. Jamais je n’avais dormi avec quelqu’un toujours enlacé visage contre visage, les lèvres presque collées. Et à chaque fois, nous nous réveillions dans la même position, comme deux moitiés s’étant enfin retrouvées. Le samedi, il partait tôt pour cuisiner et faire ses préparations.
« Reste dormir », me disait-il.
Mais je l’accompagnais, et j’essayais d’aider, épluchant les légumes, faisant la vaiselle et les petites courses d’appoint. Travailler ensemble nous permettait de discuter, de plaisanter, d’apprendre à mieux nous connaître. L’après midi, nous déjeunions avec trois, avec son associé. Très vite, il y avait eu une certaine normalité. Une petite famille complétée par les amis proches des deux comparses qui commençait ensuite à défiler pour prendre des nouvelles et un petit verre au passage. Il y avait une âme de quartier dans ce bar, et j’avais été accueilli avec force louanges. « On n’avait pas vu Franck aussi bien depuis longtemps ! », « tu le rends vraiment heureux, ça se voit ! ». Ces compliments me grisaient et m’emportaient. Je commençais vraiment à imaginer quelque chose de long terme. Ces retours de ses amis réussissait même à me convaincre que tout se passerait bien, même si parfois, je souffrais un peu du manque de mots doux de la part de Franck.

Il n’était pas froid. Au contraire, je voyais dans ses yeux tellement de douceur, de tendresse et d’étoiles quand il me regardait… Mais il ne disait pas ses sentiments. Aucun « je me sens bien avec toi », ou « je tiens à toi ». Et je croyais vraiment, à ce stade des amours naïfs, que je me contenterais de ses regards éperdus et de ses amis qui me confiait « tu sais, il tient vraiment à toi, même s’il ne te le dit pas ».

Et puis le samedi soir, je repartais guincher, sur des musiques technos et électros, rencontrant toujours plus de personnes pour discuter, boire et danser, et attendre le moment où il m’enverrait un texto « je rentre, tu viens quand tu veux ». Vers 4-5h du matin, j’arrivais éméché retrouver mon Franck autant alcoolisé que moi, et le dimanche, son seul jour de congé, nous brunchions devant des rediff de Friends sur la TNT, jusqu’à l’heure de mon train, pour rentrer.

Week end après week end.

J’avais un classeur avec mes billets de train pour les trois prochains mois, et comme ce rythme me coûtait cher, j’avais repris les nuits d’hôtels les mardi et mercredi en plus de mon travail de bureau.

Nous avions quitté la gelateria, avec Fabrizio, et nous avions à nouveau repris la ballade au cours des 10 dernières minutes de mon histoire. Mais ce que j’allais raconter me demandait un peu de force. Je lui proposais de nous asseoir au bord de l’eau.

– Et puis il y a les attentats. Les Paris Attacks comme ils les appelaient sur CNN. Cette nuit sombre…

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