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Jo, Acte 2 – 6 octobre 2018

Escrivaillon 3

Je me réveillai avec difficulté. J’avais trop bu la veille, tentant de maîtriser mes doutes. Mitch dormait encore et je préparai mon sac à dos en silence, sans même me faire un café. J’avais l’impression d’avoir du mal à me concentrer et à m’organiser. J’allais encore oublier la moitié de mes affaires, mais ce n’était pas bien grave. Cependant l’heure tournait et j’avais l’impression d’être en retard. Je courus à moitié vers la gare centrale, tandis que les canaux d’Amsterdam se livraient charmeurs dans une lumière d’automne douce et charmante. Vraiment, cette ville ne se montrait sous son meilleur jour que les jours où j’étais en plein désordre intérieur.

C’est en courant à moitié que je traversais les couloirs de Schiphol me menant au contrôle de sécurité. J’étais en retard, que se passerait-il si je manquais mon avion ? Par habitude, je mis ma ceinture et vidai mon sac dans le bac et m’avançai vers la machine à rayons X, les jambes écartées et les bras levés. J’étais stressé. Allait-on me prendre pour une mule ? Allais-je rater mon avion à cause d’un employé zélé ? Non. On me fit passer en quelques secondes. « Dank u wel, goede reis! ».

Dans le grand hall d’embarquement, l’humanité se pressait au Starbucks et dans les restaurants, et je consultais ma montre. J’étais tellement en retard que j’avais deux heures et demie d’avance. La nervosité me serrait la gorge et comprimait ma poitrine. Avais-je eu là vraiment une bonne idée ? Je fis les cent pas entre le hall et la porte B36, ne réussissant pas à m’asseoir plus de 10 minutes sans me relever et repartir dans l’autre sens. Je repensais à Edwin, quand il avait pris l’avion pour venir me rejoindre à Bangkok. Avait-il ressenti les mêmes hésitations, les mêmes doutes ?
Sûrement.

Je me trouvais fou et stupide. J’avais beau savoir pourquoi j’allais le voir, j’avais bien vu que mes intentions étaient incomprises par mes ami·e·s les plus proches. 
– Tu vas passer la nuit chez lui (wink wink) !
Mais non ! Ce n’était pas le but ! 
– Enfin tu espères, quand même !
Vraiment non. Si j’avais attendu aussi longtemps, c’était justement pour être certain de ne pas y aller pour cette raison. Avec ce projet d’achat de maison aux Pays-Bas, il était à présent inconcevable d’imaginer la moindre romance avec Jo.
– Oui, bon, mais si ça se passe bien… Tu ne vas pas dire non…
Bien sûr que si ! Et puis il a probablement quelqu’un. Et je n’ai aucune envie de créer une situation problématique et émotionnelle. Vous me faites chier à la fin ! Je comprends bien que ça peut paraître mon intention, mais n’ai je pas toujours chercher à faire au mieux pour les personnes à qui je tiens ? A quoi cela rimerait ? Qu’est ce que ça pourrait créer de positif ?
Rien, que dalle, peau de zob !

Le temps restait à présent figé dans ces dialogues intérieurs qui m’épuisaient et me torturaient.
Oui, j’espérais quelque chose. Il me restait deux questions sur cette relation qui avait eu lieu deux années auparavant, et oui, d’accord, j’espérais peut-être un hug. Savoir dans un mouvement de corps que je n’avais pas causé de tort à Jo, que j’avais compté, et qu’il ne m’en voulait pas. Une étreinte qui m’aurait fait oublier ces trois derniers mois qui m’avaient brisé, même si je prétendais le contraire. Voilà, c’était ça ma raison égoïste et condamnable. J’espérais un peu de son énergie et de sa douceur qui me rappelleraient qu’un jour à nouveau, pour moi, tout irait bien.

Dans l’avion, je me couvris les oreilles et l’âme avec la 9è symphonie de Dvorak… Enfin je fus serein…

« Prends le ticket navette + tram, et quand tu arrives en ville, tu prends le tram bleu pour arriver à la maison »
Géraldine m’attendait en prenant un café avec ses amies, mais je n’étais pas prêt à y aller directement. Je traversais le quartier Antigone et ses imposants bâtiments sortis de livres d’images sur l’Antiquité. Quelle idée d’avoir fait sortir de terre, à cette époque, un tel style architectural !

Mes pas me conduisaient dans la ville en un double pèlerinage. J’essayai de reconnaître ce que j’avais vu quelques années auparavant. Cette ville qu’avait connue Céline, l’unique femme de ma vie, et où j’avais fait sa rencontre à travers un skype flou, sans imaginer un seul instant de ce qui nous arriverait un peu plus tard…
Mais en même temps, je voyais aussi cette ville où j’avais refusé de mettre les pieds aussi longtemps. A cause de Jo. A cause de moi.

Enfin j’arrivai place de la Comédie et les souvenirs me saisirent. Je revis Cec et Jo dans la cuisine. Il lui racontait qu’il habitait là à une époque, et que les punks à chien squattaient la nuit près de la fontaine, et que c’était un quartier bruyant.
Je n’en étais pas très sûr pour autant. Mes souvenirs me jouaient-ils un tour dans un désir de reconnection avec ce qui m’entourait ?
Sur la place, des danseurs de break dance faisaient un show à une foule de curieux, et je regardait les bâtiments de la place. 
Jo avait-il dit à Cec qu’il habitait au-dessus du Monoprix, ou du Mac Donald’s ? Mais le souvenir déjà s’était éthéré, et la cuisine de Paris s’était dissipée, ainsi que les mots qui y avaient été prononcés.

Je m’assis sur une dalle au sol, et allumai une cigarette. Je n’avais pas encore envie de partir, et j’étais déjà reparti dans le temps. Quand il m’avait proposé de venir le voir. Invitation qui avait disparu avec son silence que je n’avais pas cherché à briser il y avait maintenant si longtemps… Je me demandais où il était à présent, et hésitais à aller voir son exposition en cachette, sans le prévenir, pour ne pas être trop ému le lendemain, s’il décidait de me présenter son travail. 
Mais Géraldine m’attendait.
Je me relevai et commençai à me frayer un chemin dans les rues médiévales. Tant pis pour le tram…

En haut du jardin des plantes, à quelques pas de l’Arc de Triomphe, une jeune femme brune avec un chignon négligé qui lui donnait un charme fou regardait son téléphone, accoudée contre le muret. Géraldine enfin me vit et fut contente de me voir. Elle me montra son appartement, et ma chambre pour quelques jours, puis m’expliqua avec enthousiasme que comme elle ne travaillait pas le lendemain, elle avait prévu plein de choses. Je fus obligé de l’interrompre pour lui dire que je comptais profiter de mon passage pour voir une expo.
Une expo ? Chouette ! Ça pouvait être sympa aussi !
Elle ne se souvenait pas que je lui avais raconté, un an plus tôt, mon histoire avec Jo. Et que c’était surtout pour lui que j’étais venu…

    • Escrivaillon Escrivaillon

      Je suis plutôt d’accord, oui !

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