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Jo, Acte 2 – 7 octobre 2018

Escrivaillon 0
Domaine d’O

Géraldine et moi nous réveillâmes avec une mini gueule de bois.

Nous avions été au Domaine d’O la veille, pour voir un DJ set de Matteo, du groupe Chinese Man. Nous avions dansé un petit peu, même si je n’avais pas la tête à ça. La musique était bonne pourtant et Géraldine et ses amis fantastique. Nous avions vraiment passé un bon moment, mais j’étais un sablier ambulant, et avec les projets incertains de Géraldine, je n’avais pas su dire à Jo à quelle heure je pourrais venir à sa galerie. C’était le dernier jour de son exposition et j’étais donc tout à la fois anxieux, impatient, et effrayé que cela se passe mal et que je sois déjà devenu un inconnu pour Jo.

Géraldine envoyait texto après texto en aspirant sur sa cigarette électronique. Je touillais mon café nerveusement en attendant, impuissant. Et puis soudain ce fut décidé, nous irions manger des huîtres sur l’étang, j’allais voir ce que j’allais voir ! Et puis d’accord, c’était à une petite heure de route, mais nous aurions amplement le temps de rentrer et de voir l’expo.

Dans la voiture, Géraldine me demanda enfin plus de détails. Je lui racontai la rencontre et le mois qui avait suivi, à mes yeux doux et charmant.
– Il n’avait jamais embrassé d’autre garçon, donc tout était une première fois pour lui, je l’avais trouvé très émouvant. J’avais tellement peur de lui faire du mal… J’ai toujours pensé que la première fois est déterminante. Tu vas à l’encontre de tout ce que la société hétéro-normée te balance depuis l’enfance, cela peut être violent et difficile. Et cela ne voulait pas dire, à mes yeux, qu’il était gay. Je crois que l’on peut avoir des attirances ou un émoi pour des personnes quel que soit le genre. Et je ne voulais pas qu’il se formate dans une case s’il ne pensait pas que ce soit le cas. Je voulais le protéger et le préserver au maximum. Lui montrer que si là était son inclination, totale ou partielle, il pouvait y avoir de la douceur, de la gentillesse, du respect et du bonheur.
Et puis il est parti pour son projet, et je crois qu’il a perdu son téléphone à ce moment-là, alors je n’ai pas eu de nouvelles. 
Et quand il est reparti à Montpellier, je n’en ai pas eu non plus…
 Une partie de moi espérait en recevoir, j’attendais un peu. Et puis cette autre voix en moi eu le dessus. Il devait finir sa dernière année d’études, et je ne voyais pas comment je pourrais avoir un rôle positif dans sa vie : si je reprenais contact et que l’histoire pouvait continuer là où elle s’était arrêtée, j’aurais pu déménager à Montpellier, mais est-ce qu’il avait besoin d’une première relation aussi intense ? Déménager pour quelqu’un, ça déséquilibre tout quand c’est trop tôt, ou mal fait. On a l’impression que l’autre se sacrifie à moitié, c’est une pression incroyable ! Et est-ce que je ne serais pas tenté de vouloir trop le conseiller, au lieu de le laisser décider quelle vie il voulait pour lui-même ? J’avais déjà altéré sa vie. Peut-être que je lui avais déjà fait du mal plus qu’autre chose ? D’ailleurs, son silence voulait peut-être me dire cela. Qu’il m’en voulait. Qu’il préférait m’oublier, comme on chasse de la main des pensées négatives, des souvenirs douloureux. Peut-être qu’il s’était remis avec son ex et qu’il préférait chasser cette expérimentation gay.
– Mais pourquoi attendre aussi longtemps pour revenir ? Géraldine ne comprenait pas vraiment.
– Ma vie à Paris ne me plaisait pas complètement. J’essayais d’oublier que je détestais mon travail en faisant la teuf constamment, mais je me rendais bien compte que je n’étais pas heureux. Du coup, j’ai souvent eu envie de descendre, prendre des nouvelles et avoir ces réponses aussi, me rassurer sur le rôle que j’avais eu dans sa vie. Positif ou négatif. Envie de voir son travail aussi, car je vois qu’il expose régulièrement, et commence à se faire connaître. Mais j’avais peur de mon impulsivité et de mes décisions romanesques. Montpellier est une ville que j’adore, où il fait toujours beau. Est-ce que je ne serais pas pris d’un coup de tête en m’y installant ? Est-ce que secrètement je n’aurais pas espéré qu’il se passe plus, en revoyant Jo ?
Maintenant que je suis en train d’acheter une maison aux Pays-Bas, je ne peux plus être tenté. Je ne peux pas espérer quoi que ce soit. Je ne peux pas me laisser attendrir. Je peux juste le revoir sans attentes, lui montrer que j’ai toujours de la tendresse pour lui. Qu’il a compté pour moi. 
– Oui enfin tu n’as pas encore signé pour la maison. Tu peux encore décider de venir vivre ici !

Géraldine ne me comprenait pas non plus. Elle espérait une belle romance, des retrouvailles enflammées. Et elle aurait adoré que je vienne m’installer dans sa ville. Mais Au fond de moi, je cherchais à dire au revoir, et à garder un beau souvenir, sans « et si j’étais allé le voir ? » Voire peut-être retisser une amitié sur ces vestiges d’une tendresse passée.

photo du resto piquée sur Trip Advisor

Le déjeuner me parut interminable malgré la vue fantastique sur l’étang de Sète. Je mangeais sans appétit la tielle, les huîtres et les moules géantes, regardant ma montre pour savoir si on aurait le temps de rentrer pas trop tard. Je m’en voulais de ne pas être capable d’apprécier tous les efforts que faisait Géraldine pour passer du temps avec moi et m’emmener dans des endroits fantastiques.
« Je garde la galerie toute la journée » m’envoya Jo. Il serait donc là quand je viendrais. 
Dans peu de temps.
Si peu de temps.
Enfin nous prîmes la voiture.
– On repasse vite fait à la maison, je vais aux toilettes, et on ira à pied.
– Dis Géraldine, ça te va si je pars directement pendant que tu passes à l’appartement ? Et tu me rejoins. Comme ça, j’aurai 5 minutes pour dire bonjour à Jo un peu en tête à tête.
– Je peux même te laisser y aller seul, ou vous laisser un peu plus longtemps !
Géraldine était tellement adorable !
– Non, non, ça me fait plaisir que tu découvres son travail. C’est pour lui montrer mon soutien que je viens, donc 5 minutes, c’est amplement suffisant.

Une fois la voiture garée, Géraldine m’expliqua comment aller à la galerie. Je m’engouffrai dans le dédale médiéval avec la poitrine compressée. J’avais du mal à respirer. Comment allions nous nous retrouver ?
En marchant, je me regardais dans les vitrines éteintes des magasins fermés. Je me recoiffais, remettait mon bonnet, le retirait, je me trouvais laid et idiot, vilain petit canard. Remis une dernière fois le bonnet, puis ça y est, j’étais à l’entrée de la petite galerie. Mon coeur battait comme un galop de chevaux se jetant depuis une falaise. Je passai la porte.

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