La nuit était tombée sur Rome, mais avec cette douceur des soirs où l’on reste en manches courtes, à boire des bières en terrasses tout en refaisant le monde.Toujours guidé.e.s par le Routard, nous nous étions retrouvés à Freni e Frizioni, bar sympa du Trastevere.
Camille et moi étions généralement plus branchés rue Jean-Pierre Timbaud et ses bars sans prétention, alors il nous a fallu quelques minutes d’acclimatation pour ce bar spécialisé dans les cocktails, relativement cher, et au système italien : tu fais la queue pour payer à la caisse, et ensuite tu vas au bar avec le ticket (Je pense que c’est pour spotter les touristes). Néanmoins, l’ambiance était charmante et young urban. La clientèle n’était pas qu’italienne, mais faisait mi-étudiante nantie, mi after-work. Nous tentâmes de nou fondre dans la masse en faisant les parisiens snobinards en parlant de l’inscription de Picasso dans l’art du 20ème siècle (moi), et du problème du secret de l’instruction et des médias (Camille)(parfois, on raconte des trucs vachement intéressants).

Je crois que nous en étions déjà à notre deuxième pinte (les cocktails étaient vraiment chers), lorsque notre conversation fut interrompue. Dans une cascade de cheveux bruns et bouclés, Giulia s’était quasiment jetée sur moi :
– Mais ! C’est incroyable ! Mais qu’est-ce que tu fais ici ?
Camille s’était un peu raidie, surprise de l’irruption inattendue de cette boule d’énergie, et j’étais moi-même sans voix de la familiarité complète de Giulia, rencontrée pour quelques heures seulement la semaine précédente, en Allemagne.
– Euh, Camille, je te présente Giulia, c’est une pote (de pote) de la meuf de mon frère, et Giulia, voici Camille, une bonne amie qui habite à Paris.
L’Italenne se saisit d’une chaise en déclarant perfrmativement qu’elle allait s’asseoir avec nous. Ah si, si, elle était avec des potes, mais ils étaient relous, et ils pouvaient bien se passer d’elle quelques minutes !
Bizarrement, si l’entrée avait été explosive, Giulia s’était désormais assise confortablement sur sa chaise, une jambe repliée, qu’elle retenait parses bras, comme si elle était assise devant un série sur un canapé. Et son énergie, ou l’alcool ouvrirent la soirée aux confidences. Elle se présenta un peu plus, expliqua ses études d’anglais, son année à Londres, et sa soif d’avenures. Puis elle se tourna vers moi :
– Mais, il y a un truc que je ne comprends pas… Tu m’as dit la semaine dernière que tu arrêtais de bosser bientôt parce que tu n’en peux plus… Mais tu vas en Australie pour le mariage de ta pote en janvier. Entre temps, tu vas faire quoi ?
– Bah je sais pas trop, peut-être trouver un petit boulot un peu plus calme, ou juste me reposer ces deux mois-là.
Giulia réfléchissait en regardant le ciel, les yeux un peu perdus. Camille me disait de rentrer à Paris, vu que de toute façon, ça ne se passait pas bien avec Amandine. Elle n’avait pas tort. J’y songeais aussi de plus en plus…
– Viens avec moi. Giulia avait interrompu son dialogue intérieur et me regardait droit dans les yeux. Je ne te propose pas de faire du 7/7j, je ne pense pas qu’on tiendrait, mais on peut voyager ensemble. Genre tu finis de bosser fin octobre, c’est ça ? et en janvier tu dois être en Tasmanie. Ça te laisse deux mmois pour faire un road trip entre les deux… J’arrive le 10 novembre à Istanbul. Rejoins-moi là-bas !
Camille écarquillait les yeux, se demandant si elle avait bien compris ou si son bon niveau d’anglais lui jouait des tours. Quant à moi, j’étais sur le cul, bégayant à moitié des débuts de phrases, ou plutôt d’excuses.
– Je.. mais c’est que… Enfin… Je veux dire que…
– Moi, je dis ça comme ça. La semaine dernière, tu semblais dire que tu avais vécu ta meilleure vie en bourlinguant en Thailande, donc je dis juste que là, tu as du temps. Après tu es peut-être trop vieux pour ça…
Avec cette dernière phrase, elle m’avait mis un uppercut dans la mâchoire, et elle le savait. Elle souriait d’un air satisfait puis ajouta :
– Écoute, ce n’est pas une décision qui se prend sans un peu de réflexion, surtout à ton âge, mais si tu veux qu’on joue à Hide & Seek à travers quelques pays, je pense qu’on s’amuserait. Elle releva le visage, montrant un sourire conquérant. Bon, allez, je vous laisse, je vais retrouver mes potes. Et dis- moi où on se retrouve la prochaine fois, Bello ! Baci baci!
Elle s’éloigna en faisant un dernier signe de ses mains, tapotant sur un portable imiginaire. « Tiens-moi au courant ». Camille essayait pendant ce temps de retrouver mon attention
– Escri, ici la Terre, youhou. Ohlala, je connais cette expression sur ton visage. Celle qui dit que tu es sérieusement en train de considérer de partir plus longtemps que prévu… Mais tu pourrais tout mettre en pause pendant plusieurs mois ?
– Tu sais quoi ? Je crois que oui. J’avais accepté d’aider Amandine à avoir son prêt pour sa maison afin d’avoir une sorte d’endroit où je pourrais revenir et garder mes affaires. Mais au final, je n’ai plus aucune confiance en elle. Du coup, je n’ai rien qui me retienne à Amterdam, et je n’ai que vous, mes ami.e.s, à Paris. Mais je n’ai déjà presque plus de possessions à cause de mes déménagements fréquents… Peut-être que finalement, je devrais juste partir un jour, sans retour, effacer notre amour, sans se retourner, ne pas regretter…
Ce soir-là, par la suite, j’essayai de parler d’autres choses, afin de ne pas trop ennuye Camille. Mais j’allais devoir considérer les visas, les prix, et les différents pays. Giulia proposait de se croiser en cours de route. Cela laissait plus de liberté que de se greffer sur son itinéraire.
Le lendemain, je me réveillai de bonne heure dans la chmbre double du Airbnb. Camille dormait encore.
Je me saisis de mon portable et envoyai à Giulia le message suivant :
« rendez-vous à Hagia Sofia »