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16 – Une relation franco-allemande

Escrivaillon 0

Giulia m’avait un poil vexé en me disant que je mettais trois heures pour raconter mes histoire. Même si elle n’avait clairement pas tort… Alors j’entrepris de résumer ma relation avec Jesper.

– Il y a quelques années, commmençai-je, j’étais dans un lycée catholique, et en Terminale, l’établissement demandait aux élèves de faire un volontariat d’une semaine dans une charité. Suite à plusieurs changements, je me retrouvai donc chez Emmaüs. Du lundi au jeudi, j’accompagnai les compagnons et les aidais à vider des greniers et des granges tout en écoutant leurs histoires d’anciens repris de justice, de vie dans la rue et de basculements dans la misère. Ce fut une expérience riche même si j’étais trop jeune pour en comprendre tous les enseignements. Mais si les personnes que je rencontrais me touchaient, j’avais hâte d’en finir. Les destins que je croisais étaient assez lourds…

Et puis le vendredi matin, pour mon dernier jour, j’allais voir Alain, le responsable, pour lui demander avec quelle équipe je serais posté ce jour-là. « Ah, aujourd’hui, tu seras avec Jesper. Tu ne le connais pas, mais il doit être au niveau des palettes, là-bas, à côté de la camionnette ».

Je quittai le bureau d’Alain, et marchai vers le chemin de terre. En ce 27 octobre, vers 8 heures du matin, le ciel était gris et le froid piquait mes joues. Il avait plu pas mal les jours précedents, aussi, il fallait faire attention à la terre salissante et aux feuilles rouge-orangées, glissantes, qui jonchaient le sol…

Quel contraste de raconter cette scène d’automne alors que noous sommes en tee-shirt à Istanbul, pensai-je… À quelques mètres de nous, sur le pont, des dizaines d’hommes attendaient que les poissons mordent à leurs lignes de cannes à pêche, dans les lumières de la ville… Je continuai de raconter mon histoire en marchant aux côtés de Giulia…

– C’est fou à quel points certains souvenirs s’envolent, et comme certains restent gravés pour toujours. Et parfois, les détails s’effacent, mais le ressenti reste imprimé.

Les mains protégées par des gants de chantier, un tout jeune homme prenait des morceaux des palettes empilées sur le sol de terre et les jetait, tranquillement, à l’arrière de la camionnette. En entendant mes pas il se retourna. Les mèches de ses cheveux bruns retombaient négligeamment sur son visage, et laissaient voir des yeux bleux si clairs que j’en fus immédiatement prisonnier. Et quand il me parla, avec un assez fort accent allemand mais un français sans faute, je fus à terre. Jamais je n’aurais imaginé aimer l’accent allemand, mais ce garçon de tout juste 20 ans, grand, fin et si beau m’avait, en quelques mots, en quelques sons, fait prisonnier…

Nouos passâmes la journée à casser les palettes, et à les apporter sur les différents lieux de vie des Compagnons, aidés par Ricardo, un Portugais beaucoup plus vieux que nous, il devait avoir 25 ans…

Bref, ce dernier soir de volontariat obligatoire, j’allai voir Alain, et lui demandai si je pourrais revenir les week-end, parce que j’avais envie de les aider. Quand j’y repense, à présent, je me dis que mes vraies motivations ne devaient pas passer inaperçues tellement je regardais Jesper avec ce genre de regard :

Pendant plusieurs mois, je retournai donc chaque samedi à Emmaüs, et toutes les semaines, Alain m’envoyait avec Jesper. Avec le recul, je pense qu’Alain devait être content pour le jeune Allemand que je sois là. Car Jesper n’était pas à Emmaüs par choix ou par nécessité. Il avait refusé de faire son service militaire et avait choisi le service civil, d’un an, et avait été envoyé dans cet environnement difficile pour un tout jeune étudiant, loin de sa famille, et dans un autre pays…

Je le laissais me parler de philosophie et je l’écoutais jouer de la guitare alors que je détestais tout cela… Et nous nous retrouvions parfois le soir pour refaire le monde ou parler de livres et de langues mortes, au son de Bob Dylan et son Blowing in the Wind en fumant des roulées… »

Tandis que je lui racontais cet amour de jeunesse, nous avions remonté une petite rue escarpée remplie de magasins de souvenirs. Giulia regardait ici et là les bijoux, porte-clés et produits artisanaux sans perdre une miette de mon histoire. Elle avait l’air de trouver cela charmant…

« Et non, je ne l’ai pas pécho…

Jesper était complètement hétéro, et de la même façon qu’il m’avait sous son charme, il avait de nombreuses prétendantes.

Il repartit à Dortmund en mars ou en avril et j’arrêtai de venir aider à Emmaüs, prétextant les révisions pour le bac.

Nous nous revîmes plusieurs fois au cours des années, et chaque fois je m’étais à moitié ridiculisé, tentant d’impressionner et d’exister, face à ce garçon tellement inacessible et aux passions tellement différentes des miennes…

La dernière fois que je l’ai vu, il était de passage à Amsterdam, avec sa copine, Idil. Mais je ne garde que peu de souvenirs de cette soirée-là. C’était il y a quelques années déjà… »

Au détour d’un immeuble, alors que je venais de finir ma présentation de Jesper, La tour de Galata était soudain apparue, géante bleue au-dessus de nous…

Bonus track:

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